Didier Venturini, poèmes
Dernière fable
Une dernière fable
De Venise
Rêves de sable
Qui s’enlisent
Cité mystère
Palais des doges
Les sanctuaires
La grande loge
Les amulettes
Les talismans
Les cours secrètes
Leur goût d’orient
Éclats de lune
Sur les canaux
Que disent les runes
Baron Corvo
Pont des merveilles
Pour une émeraude
Que les lions veillent
Dans la nuit chaude
La clavicule
De Salomon
Lire les formules
Les allusions
Rencontres nocturnes
Une poétesse
Parmi les brumes
Beaucoup d’ivresse
La rue de l’amour
Des amis
Plus loin toujours
D’autres pays
Didier Venturini, 2009
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Jardins d’ouvriers
Près de l’ancienne usine
Sur un petit îlot
Des jardins de terre fine
Respirent au fil des eaux
Des hommes les ont tissés
Dans l’oubli du ciment
Sur les bords rapiécés
De ces morceaux de temps
Sous les couleurs des fruits
Dans l’odeur des étés
Ils renonçaient au bruit
Des gros marteaux d’acier
Et le bonheur poussait
De semis en récoltes
Toute cette vie chahutait
A deux pas de nos portes
Les jours s’enracinaient
Dans ce sol retrouvé
Sous l’herbe qui accueillait
La lente fécondité
Au langage des lunes
Ils parlaient d’infini
De silence dans les brumes
Et de vent dans la nuit
Sous ces cieux infusés
De tremblantes illusions
Ils venaient ramasser
Leurs airs de floraisons
Quand la pensée des pierres
Sous leur blason de sel
Mûrissait hors de terre
Une envie de soleil
Et les songes de calcaire
Dans l’aube des mémoires
Interrogaient l’espoir
Des croissances millénaires
Didier Venturini, 1999
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Jour de marché
Tous ces râclements de voix
Huilent l’air dès les premières lueurs
Les trétaux éventrent le froid
De leurs pieds d’acier sans douceur
Des confins du lourd sommeil
Se déplient les jambes engourdies
Qui s’agitent entre les corbeilles
De légumes replets et de fruits
Des regards soupèsent le temps
Les premiers mots tanguent en surface
La gueule des camions géants
S’étire renifle à même l’espace
De larges mains gomment la nuit
De leurs gestes sûrs et rapides
Les couleurs se multiplient
Sur ce fond gris et insipide
Ah !
Que la vie est belle
Là sur son coin de mousse
Dans son rêve d’eau douce
Sur son bout de pouce
Comme dans un aéroport
Les halles se sont soudain gonflées
De ces balancements de corps
Cadencés au rythme des paniers
Les cris lézardent le soleil
S’habillent de rouge de jaune de vert
Roulent sous ces langues de miel
En notes chaudes libres de l’hiver
Les parfums rallongent les nez
les entraînent dans une course folle
Flirtant du sucré au salé
Comme un principe de farandole
C’en est ainsi juqu’à midi
Cet instant où la place se donne
Au silence des pavés meurtris
Par cette vie qui encore résonne
Ah !
Que la vie est belle
Là sur son coin de mousse
Dans son rêve d’eau douce
Sur son bout de pouce
Didier Venturini, 1996
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La Lettre
A la lueur d’une bougie
Je t’écris ces quelques mots
Ces quelques mots pour dire qu’ici
On monte au front c’est pour bientôt
Mais ne t’inquiètes pas pour moi
J’ai la santé juste de l’ennui
Courage, confiance, priez pour moi
Nous serons bientôt réunis
C’est de la tranchée que j’écris
Je n’ai pas une minute à moi
Alors comment vont les petits
Toujours sans nouvelles de toi
Surtout écris moi tous les jours
J’ai des heures de nostalgie
Le danger m’effraye à mon tour
Y’a t’il encore des jours des nuits
Je joins quelques photographies
Celle du soldat sous le pommier
Pourrait faire oublier qu’ici
Nos joies de gosse sont envolées
J’espère quand même que mon étoile
Me fera revenir au monde
Que tout ne finira pas mal
Dans cette boue, cette guerre immonde
Didier Venturini, 2009
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La maison des ombres
Il est des ronces et du silence
Où se fatiguent moellons et tuiles
De cette maison qui prend patience
Sur son lopin comme en exil
Elle s’abandonne sans aucun cri
A cette lente progression du temps
Et seul le vent peut suivre ici
Ses lézardes et rides de ciment
Elle se repose sur cette colline
Où l’air vient lui brunir les flancs
Dans ses mousses passent encore des rythmes
Des soupirs des frisson’ments
Elle se laisse porter immobile
Par la voix lugubre des orages
Et les chênes lui font comme une île
Sur les traits sombres de son visage
Il est dans les oracles du soir
Sous la multitude des jours
Dans ces douloureuses langueurs noires
Un long rappel des doux séjours
Le chant de sa jeunesse passée
Quand l’homme frôlait le grain des murs
S’ajoute aux cimes des peupliers
Dans le solitude de l’azur
La vie s’est chargée de désert
Puis entraînée loin des paroles
Elle s’est défaite de ses repères
Comme d’une peau morte qui se désole
Alors qu’a-t-elle donc d’éternel
Peut-être ces pierres mêlées au lierre
Ou ces cailloux cornés de gel
Ou bien le spectre de ces lisières.
Didier Venturini, 1998
New York
Y’a ceux qui fument de longs cigares
Dans des voitures blanches à rallonges
Qui coincent leur cul sur les boul’vards
Tell’ment elles s’traînent comme des éponges
V’là l’Hudson River qui dégorge
Ses flots noueux lourds comme du fiel
Qui sentent la graisse sous l’fer qui ronge
Cette vie fragile sous son coin d’ciel
Soudain l’orage chute comme une masse
Et vient répandre son vitriol
Qui défigure ces grandes Jorasses
Gainées d’acier et d’alvéoles
Le soir sous l’arc des néons
La poussière colle au macadam
On cherche sa vie comme un filon
On ronge ses nuits au feu des flammes
On puise nos rêves dans ses artères
Sur les fantasmes d’Indiens morts
Dans cette musique à fleur de nerf
Dans son ciné multicolore
Elle est aussi bête inhumaine
Quand elle s’entête à dévorer
La chair de ses fils comme une chienne
Sous ses crocs blancs et acérés
Elle expire d’un poumon asthmatique
Ses métamorphoses excessives
Qui sous ses fièvres épileptiques
Animent son ventre de fille active
Elle est crédule comme un enfant
Et cherche Dieu au coin d’un bloc
Sous la voix de ses noirs prêchants
A coups de muscles, à coups de crosses
Didier Venturini, 1997